Mis en avant

« Allô précaires ? » Mise en route de notre répondeur

A l’occasion de la journée de mobilisation du personnel de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) sous le mot d’ordre « Le 5 mars, l’université et la recherche s’arrêtent! », nous lançons un répondeur pour récolter divers témoignages de précaires.

Où que vous soyez en France, quelque soit votre statut de précaire (BIATSS, doctorant.e, docteur.e sans poste), que vous aspiriez à un poste de titulaire dans le monde universitaire ou que vous ayez choisi d’y renoncer, ce répondeur est fait pour vous. Vous pouvez y faire part de votre situation, de vos conditions de travail et de vie, de l’impact de la précarité sur votre quotidien ou encore, d’un épisode marquant de votre parcours de précaire. En multipliant les témoignages et les points de vue, il s’agit de mettre au jour cette précarité qui gangrène nos universités et centres de recherche.

Les messages recueillis ont vocation à être diffusés. De façon à préserver l’anonymat, nous vous demandons de ne pas faire mention de noms/prénoms ou d’institutions. Si vous craigniez que votre voix soit reconnue, votre témoignage pourra être lu par une autre personne.

Il ne vous reste plus qu’à nous appeler au 07.49.07.15.34 !

Allô précaire confiné.e?

Depuis que le confinement a commencé, la situation des précaires de l’ESR semble s’être tout sauf améliorée… Désormais isolé.e.s non seulement dans nos départements et laboratoires, mais aussi dans nos domiciles, il est devenu encore plus difficile d’échanger sur nos situations. C’est pourquoi nous nous joignons aux autres collectifs de précaires et relançons notre répondeur, aux côtés d’un tumblr, sous l’appel « Allô précaire confiné.e? ». Appelez-nous, écrivez-nous et racontez-nous votre expérience de confinement, les incertitudes financières qu’il entraîne, les injonctions au télé-travail que vous subissez, vos conditions concrètes de télé-travail… !

Communiqué de l’assemblée générale nationale des précaires de l’ESR du 27/03/2020

Collectifs présents : Rennes, Picardie-Jules Verne, Lille, Rouen, Toulouse, Nantes, Grenoble, Angers, Saint-Etienne, IDF (P1, P3, P5, P7, P8, P10, P13, IEP, EHESS, INSPE Créteil, INSPE Cergy). (Assemblée générale tenue en distanciel via Discord)

L’urgence est à la solidarité !

L’AG nationale des personnels et usagèr.es précaires de l’ESR qui s’est tenue en ligne le 28 mars 2020 rappelle que ce sont les précaires, les ouvrièr.es, les femmes et minorités de genre, les personnes racisé.es et étrangèr.es, invalides et malades, qui sont encore une fois les plus pénalisé.es par les mesures prises pendant la pandémie de coronavirus COVID-19. La crise que nous vivons nous montre en pleine lumière qui sont les véritables « premièr.es de cordée », en l’occurrence celles et ceux qui actuellement exercent des professions à risque (personnel soignant et hospitalier, agent.es de caisse, livreur.ses, etc.), qui ont été tant malmené.es, et auxquel.les nous devons tant. Dans « l’état d’urgence sanitaire » actuel, nous devons être solidaires de ces dernièr.es, mais également continuer à mener les luttes sociales engagées contre la LPPR, la réforme de l’assurance chômage et celle des retraites, et à demander plus de moyens pour les services publics. En outre, nous demeurons d’autant plus vigilant.es que les mesures prises en période de crise peuvent donner lieu à d’inquiétantes dérives si elles s’inscrivent dans le droit commun. Pour l’ESR, nous nous inquiétons des ordonnances qui passent actuellement et préfigurent l’institutionnalisation de la dématérialisation de l’enseignement supérieur, avec toutes les inégalités qu’elle implique (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/ordonnance/2020/3/27/ESRX2008176R/jo/texte?fbclid=IwAR2kzn8GKfmQeWM4sFVEh4BUD3mrG5CNDQEtS3r4azQ0qzXOR-x7AFFEDTk).

Mais il nous faut d’abord répondre au plus urgent : la précarité et la pauvreté s’aggravent dangereusement dans l’ESR en cette période de confinement. Nous exigeons pour cette raison :

  • la mise en place immédiate d’un fonds d’urgence par le CROUS pour les précaires de l’ESR en difficulté, quel que soit leur statut ;
  • la suspension des loyers des résident.es au CROUS durant la période du confinement, sans rattrapage après le confinement, et la possibilité pour tout.es les résident.es de rester dans leur logement, de le réintégrer à l’issue du confinement, ou d’obtenir alors un autre logement du CROUS en cas de départ définitif du logement actuel en raison de la crise sanitaire ;
  • le maintien de tous les salaires, primes comprises, pendant le confinement, et le renouvellement automatique des contrats qui se terminent pendant le confinement ;
  • la rémunération de tou.tes les vacataires sur la base de leur service prévisionnel, qui doit être partout considéré comme assuré ;
  • le maintien et le versement immédiat à la demande des bénéficiaires de tout autre financement provisoire ciblé, notamment les bourses de recherche, y compris quand tout ou partie du travail afférent ne peut être réalisé en raison du confinement (y compris pour des questions de mobilités), et leur prolongement pour une durée équivalente à la durée du confinement ;
  • l’absence d’obligation d’assiduité et non-tenue des examens, des jurys et des comités (incluant les comités de suivi de thèse) à distance, avec validation automatique de l’année (y compris des crédits correspondant à des stages ou autres activités qui n’auront pu être réalisés).

Et plus largement, hors de l’ESR :

  • la suspension des loyers et un moratoire sur les préavis de départ ;
  • la reconnaissance du Covid 19 comme maladie professionnelle pour tout le monde.

Par ailleurs, pour ne pas aggraver la précarité sous ses multiples formes (financière, liée au droit de séjour…) suite au confinement et préserver la santé mentale de tou.tes en cette période de stress intense, nous demandons :

  • le prolongement des contrats de travail à durée déterminée pour une durée équivalente à celle du confinement au sein de l’ESR (y compris les contrats doctoraux et postdoctoraux : que ceux-ci puissent être prolongés au-delà de leur période de validité originelle, eu égard notamment à l’impossibilité de travailler en bibliothèque, en laboratoire, ou d’accéder aux ressources habituelles). Cela concerne également les personnels employés par les entreprises de sous-traitance offrant leurs services aux établissements de l’ESR ;
  • le respect des droits liés aux congés : les jours de congés ou de RTT ne peuvent pas être imposés et les autorisations spéciales d’absence doivent donner droit aux RTT ;
  • la validation automatique de l’année universitaire 2019-2020 et la réinscription automatique de tou.tes les étudiant.es pour l’année universitaire 2020-2021 dans l’année suivante du cursus pour les étudiant.es le demandant, ceci concernant également les doctorant.es (en particulier les doctorant.es en 4e année « dérogatoire » ou au-delà) ;
  • la non tenue à distance et/ou de façon dématérialisée (visioconférence) des jurys et des concours de recrutement (CAPES, agrégation, enseignement supérieur, MCf, PR, CNRS) et leur report à une date ultérieure à l’issue du confinement ;
  • l’absence d’obligation de travail ou d’étude en présentiel ou à distance en général, sauf en cas d’absolue nécessité, y compris au nom de la « continuité pédagogique »

Mais également, de manière tout aussi urgente le prolongement ou la délivrance automatique des titres de séjour des étudiant.es, chercheur.es et enseignant.es étrangèr.es pour une année universitaire supplémentaire, de manière à ce que les personnes étrangères qui seraient dans l’impossibilité de renouveler leurs titres de séjour puissent continuer à toucher les assurances sociales, et candidater aux différents postes sans avoir à fournir de récépissé, et pour tenir compte de la situation des docteur.es étranger.es qui n’ont pas actuellement de contrat avec l’ESR.

Étant donné que nombre de précaires de l’ESR vivent et travaillent grâce aux allocations chômage ou à des emplois hors de l’ESR :

  • le prolongement des allocations de chômage pour une durée équivalente à celle du confinement ;
  • le prolongement des contrats de travail à durée déterminée hors de l’ESR, pour une durée équivalente à celle du confinement (avec mise en chômage partiel le cas échéant pendant la période de confinement).

En réponse aux injonctions actuelles, nous appelons les personnels de l’ESR et étudiant.es à la « discontinuité pédagogique et scientifique » : à un moment où l’on compte littéralement les morts, et où la priorité devrait être donnée aux relations de solidarité permettant à tou.tes de vivre cette période dans les conditions les moins douloureuses, demander aux précaires d’abattre la même quantité de travail (démultipliée par les nécessités de l’enseignement dématérialisé)  qu’auparavant est inadmissible et irresponsable. Nous rappelons qu’en tant que précaires, nous avons des accès inégaux à internet ainsi qu’aux équipements numériques et que, nous aussi, nous avons des enfants, des problèmes de santé, des proches fragiles dont nous nous soucions à même à l’hôpital. La précarité liée à l’incertitude concernant notre avenir (sans garantie de pouvoir avoir un emploi stable dans l’ESR, de valider nos diplômes, de continuer à étudier et/ou travailler en France) est un facteur supplémentaire d’angoisse que la situation actuelle ne fait qu’exacerber. La priorité est à l’organisation de la solidarité, entre personnels et usagèr.es de l’ESR, et cela ne peut pas vouloir dire : poursuivre coûte que coûte les enseignements initialement prévus pour organiser des évaluations. Plus généralement, cette période de crise doit être l’occasion, non d’exercer un contrôle accru sur les étudiant.es et travailleur.ses de l’ESR, mais de se concentrer sur l’essentiel : préserver sa santé physique et mentale, ainsi que celle de ses proches, de ses collègues et de tou.tes celles et ceux qui prennent cette crise de plein fouet.

Même confiné.es, nous restons déterminé.es à lutter contre les inégalités qui sévissent dans l’Enseignement supérieur et la Recherche. Nous soutenons celles et ceux qui luttent au quotidien contre la pandémie, et nous constatons, comme d’autres, que les dégâts qu’elle cause sont exacerbés par des décennies de mépris pour les services publics hospitaliers, ainsi que par de nombreuses coupes budgétaires qui n’ont d’autres conséquences que d’accélérer les inégalités sociales et la précarisation de nos vies. Nos revendications pour l’ESR s’inscrivent ainsi dans la même logique de défense d’un service public gratuit, accessible à toutes et tous, et présent sur l’intégralité du territoire. 

Alors non, nous ne sommes PAS disponibles par Skype, ni pour continuer comme si de rien n’était, ni pour le remake macroniste de l’Union Sacrée. L’heure est à l’organisation d’une véritable solidarité collective qui permette de traverser cette dure période en se protégeant les un.es les autres.

Liste complète des revendications :

REVENDICATIONS COMMUNES A L’ENSEMBLE DES TRAVAILLEUR.SES ET USAGER.ES DE l’ESR :

  • mise en place d’un fonds d’urgence par le CROUS pour les précaires de l’ESR en difficulté, quel que soit leur statut ;
  • pas d’obligation de travail ou d’étude en présentiel ou à distance en général, sauf en cas d’absolue nécessité (POUR RESTER COHÉRENT AVEC LA SUITE cf. 1re REVENDICATION DANS LA SECTION TRAVAILLEUR.ES), y compris au nom de la « continuité pédagogique ».

REVENDICATIONS CONCERNANT LES ENSEIGNANT.ES, CHERCHEUR.ES ET BIAT.O.SS ET IT.A : 

  • pas d’obligation de présence pour les travailleur.ses de l’ESR, à l’exception des cas d’absolue nécessité (SINON CONTRADICTOIRE AVEC LA SUITE). Dans le cas où la présence des travailleur.ses est absolument nécessaire, mise à disposition obligatoire des masques et autres protections nécessaires et aménagement des procédures de travail pour ne pas contaminer et ne pas être contaminé.es ;
  • pas d’obligation de télétravail administratif ou scientifique ;
  • maintien de tous les salaires, primes comprises, pendant le confinement, et renouvellement automatique des contrats qui se terminent pendant le confinement ;
  • rémunération de tou.tes les vacataires sur la base de leur service prévisionnel, qui doit être partout considéré comme assuré ;
  • prolongation des contrats de travail à durée déterminée pour une durée équivalente à celle du confinement au sein de l’ESR (y compris les contrats doctoraux et postdoctoraux : que ceux-ci puissent être prolongés au-delà de leur période de validité originelle, eu égard notamment à l’impossibilité de travailler en bibliothèque, en laboratoire, ou d’accéder aux ressources habituelles). Cela concerne également les personnels employés par les entreprises de sous-traitance offrant leurs services aux établissements de l’ESR ;
  • le maintien et le versement immédiat à la demande des bénéficiaires de tout autre financement provisoire ciblé, notamment les bourses de recherche, y compris quand tout ou partie du travail afférent ne peut être réalisé en raison du confinement (y compris pour des questions de mobilités), et leur prolongement pour une durée équivalente à la durée du confinement ;
  • respect des droits liés aux congés : les jours de congés ou de RTT ne peuvent pas être imposés et les autorisations spéciales d’absence doivent donner droit aux RTT ;
  • non-tenue à distance et/ou de façon dématérialisée (visioconférence) des jurys et des concours de recrutement (CAPES, agrégation, enseignement supérieur, MCf, PR, CNRS), et report de ces jurys et concours à une date ultérieure à l’issue du confinement ;
  • prolongation des qualifications des docteur.es sans postes en fin de qualification au CNU.  

REVENDICATIONS CONCERNANT LES ETUDIANT.ES

  • Suspension des loyers des résident.es au CROUS durant la période du confinement, sans rattrapage après le confinement ;
  • possibilité pour tout.es les résident.es de rester dans leur logement, de le réintégrer à l’issue du confinement, ou d’obtenir alors un autre logement du CROUS en cas de départ définitif du logement actuel en raison de la crise sanitaire, ceci qui implique :
  • réintégration immédiate dans leurs logements du CROUS des étudiant.es en situation de handicap délogé.es, à la demande des étudiant.es concerné.es ;
  • suspension des préavis de départ CROUS et garantie de la conservation d’un logement CROUS aux résident.es quittant leur logement actuel pendant le confinement, y compris pour les étudiant.es internationaux appelé.es à partir de France ;
  • ouverture et désinfection régulière des parties communes des logements CROUS (cuisines, douches, laveries…), avec mise à disposition de gel hydroalcoolique et de savon ;
  • octroi d’une année de bourse supplémentaire pour les étudiant.es boursier.es du CROUS, afin de garantir un parcours non entravé ;
  • report des échéances pour les dossiers d’aides financières (bcs, asaa) ;
  • pas d’obligation d’assiduité et non-tenue des examens, des jurys et des comités (incluant les comités de suivi de thèse) à distance, avec validation automatique de l’année (y compris des crédits correspondant à des stages ou autres activités qui n’auront pu être réalisés) ;
  • validation automatique de l’année universitaire 2019-2020 et réinscription automatique de tout.es les étudiant.es pour l’année universitaire 2020-2021 dans l’année suivante du cursus pour les étudiant.es le demandant, ceci concernant également les doctorant.es (en particulier les doctorant.es en 4e année « dérogatoire » ou au-delà) ;
  • report des dates de ParcoursSup et de toutes les dates d’admissions dans les formations pour 2020-2021 ;
  • recensement par les universités des difficultés rencontrées par les étudiant.es pour rester en contact avec leur enseignant.es, que ce soit pour des raisons matérielles (absence d’ordinateur, mauvaise connexion internet, etc.) et/ou pour des raisons autres, afin de prendre la mesure et de remédier à la fracture numérique et aux difficultés diverses auxquelles sont confronté.es les étudiant.es.

REVENDICATION CONCERNANT LES ETRANGER.ES

  • Prolongement ou délivrance automatique des titres de séjour des étudiant.es, chercheur.es et enseignant.es étrangèr.es pour une année universitaire supplémentaire, de manière à ce que les personnes étrangères qui seraient dans l’impossibilité de renouveler leurs titres de séjour puissent continuer à toucher les assurances sociales, et candidater aux différents postes sans avoir à fournir de récépissé, et pour tenir compte de la situation des docteur.es étranger.es qui n’ont pas actuellement de contrat avec l’ESR.

REVENDICATIONS POUR L’ESR… ET AU-DELÀ

  • Suspension des loyers et moratoire sur les préavis de départ ;
  • paiement de tou.tes les vacataires ;
  • prolongation des contrats de travail à durée déterminée pour une durée équivalente à celle du confinement ;
  • prolongement des allocations de chômage pour une durée équivalente à celle du confinement ;
  • reconnaissance du Covid 19 comme maladie professionnelle pour tout le monde ;
  • remboursement des abonnements pour les transports publics durant la durée du confinement.   

« Allô Précaires? » Écoutez le premier podcast

ALLO PRECAIRES? Ecoutez le premier recueil de témoignages de précaires de l’ESR! On est encore tout.e.s ému.e.s…

Ces témoignages racontent les conditions concrètes de travail à l’Université, mais aussi et surtout leurs répercussions sur le quotidien et la vie familiale et affective. Le répondeur permet visiblement l’expression des émotions : parole libre et anonyme, absence de regard extérieur direct.

En raison du nombre important de demandes de relectures, nous avons choisi de modifier les voix pour garantir l’anonymat (la relecture aurait demandé un lourd travail de retranscription). De plus, il nous a semblé important de conserver l’émotion qui se dégage des différents témoignages.

Merci d’avoir partagé votre expérience. Tenez bon, le panda reste à votre écoute!
>> 07.49.07.15.34 << NB: Toutes les voix ont été modifiées pour garantir l’anonymat des témoignages

Couverture médiatique de la mobilisation du 5 mars

« Le 5 mars, l’université et la recherche s’arrêtent ! » C’est sous ce mot d’ordre que nous nous sommes mobilisés ce jeudi 5 mars. Voici une liste de nos diverses interventions et apparitions dans les médias:

« Docteur·es sans poste : de la vocation à la vacation » (tribune Mediapart)

Version complète et sourcée de la tribune parue le 2 mars dans Mediapart et signée par 19 collectifs de précaires de l’ESR.

Au moment d’achever son doctorat, le plaisir des éloges, le soulagement après un travail de recherche long et éprouvant, ou encore la satisfaction du prestigieux titre de docteur·e ne durent pas. Aujourd’hui, les doctorant·es ne se font plus d’illusions au moment de leur inscription tant la situation est bien connue : le plus haut des diplômes universitaires ne protège ni du mal-emploi, ni du chômage, bien au contraire. 14 % des docteur·es sont au chômage[1] cinq ans après leur soutenance de thèse, contre 13 % pour les titulaires d’un master, et moins de 10 % pour les diplômé·es des écoles d’ingénieurs et de commerce[2]. Pour celles et ceux qui ont trouvé un emploi, il s’agit d’un contrat à durée déterminée dans 45 % des cas, et même dans 55 % des cas pour les docteur·es travaillant au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR)[3].

Ces dernières années, les premiers collectifs contre la précarité universitaire ont largement travaillé à établir ce constat préoccupant[4]. Depuis décembre 2019, les précaires de l’Université se sont (re)mobilisé·es et rassemblé·es contre les réformes des retraites et de l’assurance-chômage, mais aussi contre le projet de loi réformant nos universités publiques (Loi de Programmation Pluri-Annuelle de la Recherche – LPPR)[5]. Nos collectifs sont désormais en première ligne de la contestation universitaire. Enseignant·es-chercheur·es et personnels administratifs précaires, travailleurs et travailleuses invisibles de l’Université, nous combattons cette précarisation galopante de l’ESR.

Si nous – docteur·es sans poste –, nous nous engageons dans cette grève, si nous arrêtons nos activités de recherche, cessons nos enseignements, et multiplions les actions symboliques[6], c’est aussi pour rendre visible notre mal-être grandissant. Nos corps et nos esprits sont déjà usés par une souffrance au travail toujours plus pesante, que la LPPR va venir aggraver davantage. Compétition incessante, précarisation de notre vie professionnelle, marché de l’emploi universitaire toujours plus fermé sont les réalités qui vampirisent notre vie quotidienne. Des réalités qui menacent la qualité de la production et de la transmission des savoirs aux étudiant·es, toujours plus nombreux·ses à l’Université.

Une mise en concurrence permanente

Une fois docteur·es, c’est un véritable parcours du combattant qui commence pour nous ! Les semaines s’enchaînent au rythme d’une litanie de candidatures locales et de concours nationaux. Les dossiers sont toujours plus chronophages, et les recrutements de moins en moins nombreux. Déjà sélectionné·es au moment de l’entrée en thèse, constamment évalué·es pendant celle-ci, nous le sommes à nouveau à la sortie. Dès le lendemain de la soutenance de thèse, la première étape – sans doute la plus symptomatique de notre situation kafkaïenne ! – consiste à produire un dossier qui résume par le menu la moindre des activités menées pendant nos années de doctorat. Cette procédure organisée sous la houlette du Conseil National des Universités (CNU) permet d’être « qualifié aux fonctions de maître de conférences (MCF) », c’est-à-dire aux fonctions d’enseignant·e-chercheur·e. Autrement dit, une fois qualifié·e, nous n’obtenons ni plus, ni moins que le droit d’entrer sur le marché de l’emploi universitaire, et de devenir officiellement un·e chercheur·e… d’emploi !

Une fois qualifié·e, nous pouvons donc nous engager dans ce qui est devenu un véritable jeu de massacre annuel. Au début des années 2000, 8 000 doctorats étaient délivrés tous les ans. Nous sommes aujourd’hui plus de 15 000 à devenir docteur·es chaque année[7]. Plaider pour que l’Université inscrive moins de personnes en thèse serait se tromper de problème. Les difficultés ne viennent pas tant de cette hausse du nombre de docteur·es, que de l’extraordinaire baisse du nombre de postes d’enseignant·es-chercheur·es ouverts au concours[8]. En effet, à la fin des années 1990, près de 3 000 postes de MCF étaient publiés à chaque campagne de recrutement. Il y en avait encore plus de 2 000 par an jusqu’en 2010, puis moins de 1 200 ces dernières années. En vingt ans, la diminution a été drastique (- 65 %)[9]. Cette réduction du nombre de postes d’enseignant·es-chercheur·es est d’autant plus incompréhensible que, parallèlement, le nombre d’étudiant·es dans les universités a augmenté de 15 %[10].

Pour chaque poste, les comités de sélection reçoivent de 100 à 200 candidatures. La qualité de beaucoup de dossiers étant souvent équivalente, cela ne va d’ailleurs pas sans poser de problèmes à celles et ceux qui sont chargé·es de les évaluer. L’équation insoluble du recrutement est devenue simple : en 2018, 1 104 postes de MCF ont été pourvus, pour plus de 41 538 candidatures[11]. Et les perspectives dans des organismes publics de recherche (CNRS, INED, INRAE, INRIA, INSERM, IRD, etc.) ne s’avèrent pas plus réjouissantes. Tous les ans, nous proposons des projets de recherche innovants, mais là encore, la rareté des postes laisse souvent ces projets sans réponse, quand les candidatures ne se heurtent pas à des déclassements institutionnels discriminatoires[12]. Le CNRS, qui proposait plus de 550 postes de chargé·es de recherche au concours en 2000, n’en publiait plus que 240 en 2020, soit une diminution de 56 % en 20 ans[13]. Alors que tous les gouvernements successifs ont affiché en tête de leurs priorités l’éducation, la recherche et l’innovation, cette pénurie perdure…

Ces données montrent la situation inquiétante d’un marché de l’emploi de l’ESR saturé et dégradé. Mais ces chiffres alarmants cachent une autre réalité. Année après année, nous passons des semaines et des mois à réécrire des CV et à produire des projets de recherche fantômes. La réduction des postes renforce mécaniquement une mise en concurrence exacerbée. Plutôt que de prendre le temps de mettre en œuvre des recherches de qualité ou de réfléchir à l’amélioration de nos pédagogies universitaires, toute notre énergie est focalisée sur le fait d’étoffer notre dossier. Produire de « la ligne de CV » devient la boussole de toutes nos décisions. Nous devons être le ou la meilleur·e, partout et tout le temps, sur tous les fronts. Les tâches se multiplient à l’infini : communiquer dans des journées d’études nationales ou dans des conférences internationales, en puisant bien souvent dans nos deniers personnels pour y participer ; s’intégrer à des réseaux de recherche et participer à l’ensemble de leurs activités ; organiser des événements académiques, en préparant à la fois leur contenu scientifique et leur déroulement matériel ; tenter de publier nos recherches, en proposant des articles à des revues scientifiques dont la santé économique vacille ; envoyer un manuscrit remanié de notre thèse à des éditeurs qui ne croient guère dans de tels projets éditoriaux, ou n’acceptent qu’à la condition que l’on apporte des fonds institutionnels ; et enseigner, le plus possible, pour pouvoir prétendre à un poste. À chaque fois, il faut essayer d’atteindre les standards d’une excellence aussi illusoire que discutable[14], sous peine de voir son dossier rejeté au moindre prétexte. Il faut internationaliser son profil, cibler les équipes, les établissements et les revues les plus prestigieuses, enseigner le plus de matières possible, à des publics étudiants toujours plus diversifiés.

En somme, nous participons à toutes les activités de l’ESR, non plus par plaisir, mais pour se faire voir et être vu·es. Paradoxalement, cet enjeu de la visibilité académique s’accompagne d’une invisibilisation constante de notre travail. Nous sommes soigneusement et systématiquement tenu·es à distance des fonctions les plus prestigieuses. La plupart du temps, nous enseignons dans les groupes surchargés de travaux dirigés des premières années de licence, laissant aux professeurs titulaires le prestige des cours magistraux en amphithéâtre. Nous encadrons officieusement les étudiant·es dans leur recherche, sans jamais siéger dans leur jury final. Nous alimentons les revues scientifiques, et coordonnons même des numéros entiers, sans jamais entrer dans les comités de rédaction. Nous faisons vivre des recherches collectives, sans jouir de la renommée de la direction d’équipe, etc.

Au quotidien, nous sommes donc des enseignant·es-chercheur·es à part entière. Nous en remplissons toutes les fonctions mais nous n’en avons pas le statut. Notre travail demeure bien souvent invisible, quand il n’est pas gratuit. Et cette non-reconnaissance de nos compétences au sein de l’Université se prolonge par la faible valorisation de notre doctorat dans le secteur privé[15]. En décembre dernier, le PDG du CNRS, Antoine Petit, se félicitait que la future LPPR soit une loi « darwinienne ». Mais pour nous, docteur·es sans poste et enseignant·es-chercheur·es précaires, l’Université nous fait déjà expérimenter au quotidien ce darwinisme scientifique. Après notre thèse, nous devons survivre le plus longtemps possible dans cette grande « battleroyale » universitaire. Plus nous cochons toutes ces cases, et plus la liste des exigences s’allonge. Plus l’horizon d’un poste pérenne devient un mirage, et plus la quête de l’excellence se renforce ! Et, résigné·es à cette exploitation, nous tenons, coûte que coûte, pour maintenir l’espoir que nous pourrons un jour obtenir ce poste, et continuer à vivre de ce métier que nous avons appris pendant plusieurs années, que nous aimons et que nous exerçons de fait tous les jours, sans reconnaissance et sans perspective à long terme…

Une précarité qui s’immisce dans nos vies

La précarité qui nous frappe est avant tout financière. En tant que docteur·e, nous ne pouvons plus prétendre aux bourses doctorales (qui ne sont délivrées qu’à environ 40 % des doctorant·es de sciences humaines et sociales). À défaut de postes pérennes, nos possibilités d’obtenir des contrats à durée déterminée sont rares. Quand nous ne l’avons pas déjà été pendant nos thèses, nous pouvons candidater à des postes d’Attachés Temporaires d’Enseignement et de Recherche (ATER), mais ces CDD d’un an, à mi-temps ou à temps plein, ne sont renouvelables qu’entre une et trois fois selon nos statuts et tendent eux aussi à diminuer (- 27 % entre 2005 et 2013)[16]. Nous candidatons également à des post-doctorats, c’est-à-dire des contrats de recherche qui durent généralement de six mois à un an et demi. Mais ces derniers sont rares, et très inégalement distribués, souvent au gré de procédures opaques. Par ailleurs, celles et ceux qui les obtiennent passent finalement autant de temps à produire de la connaissance qu’à valoriser leurs anciennes recherches et à chercher de futurs postes durables.Faute de mieux, beaucoup continuent donc à faire de la recherche dans des conditions indignes, en participant bénévolement à des recherches collectives, ou en se voyant proposer des missions courtes, parfois sans contrat, et sans autre rémunération que des indemnités journalières qui couvrent à peine les frais de transport ou d’hébergement.

Pour continuer à enseigner, la difficulté est tout aussi grande. Malgré le flou entretenu dans les bilans sociaux annuels des différentes universités – les président·es choisissant de ne pas toujours nommer cette réalité ! –, le ministère estime que l’Université emploie plus de 20 000 enseignant·es non-permanent·es[17]. Il faut y ajouter plus de 130 000 chargés d’enseignement vacataires, dont 17 400 assurent un service annuel d’enseignement d’au moins 96 heures (soit un demi-poste de MCF). Ces vacataires sont des contractuel·les dont les conditions d’emploi sont révoltantes : contrats signés parfois après les heures de cours effectuées, au mépris des risques en cas d’accident du travail ; absence de mensualisation des paiements, qui s’effectuent souvent six mois voire un an après le service ; non-prise en charge des frais de transport ; absence d’accès aux services de communication et de reprographie de l’université, etc. Nos vacations sont payé·es uniquement à l’heure de cours, soit 41,41 euros bruts de l’heure. Mais si l’on considère nos heures de préparation de cours, d’élaboration  et de surveillance des examens, et enfin de correction des copies, au regard des heures réellement effectuées, nous sommes payé·es tout au plus… 26 centimes en dessous du SMIC horaire ![18] Enfin, l’Université exige de ses futur·es vacataires qu’ils et elles aient un employeur principal ou qu’ils et elles aient créé leur propre auto-entreprise. Autrement dit, l’université qui les fait travailler ne leur permet pas d’avoir accès aux droits sociaux liés aux cotisations salariales : congés payés, accès aux allocations chômage et à l’assurance maladie. Si ces situations indignent, elles deviennent pourtant la norme. Ces vacataires assurent l’équivalent du volume d’enseignement de 13 000 postes de MCF, et représentent aujourd’hui en moyenne plus du quart des personnels enseignants. Nous sommes présent·es dans toutes les disciplines, dans tous les cursus et à tous les niveaux de formation, en particulier dans les premiers cycles universitaires (licence, DUT, etc.).

Balloté·es de projets temporaires en missions éphémères, mal rémunéré·es et travaillant bien souvent à la lisière, voire en dehors du cadre légal, nous sommes obligé·es de compléter ces activités par des emplois alimentaires, à temps plus ou moins partiel, et de transformer nos allocations chômage en mode de financement routinier de nos recherches. Pôle Emploi est devenu un partenaire institutionnel essentiel du financement de l’Université publique, sans que le ministère n’y trouve rien à redire.

Multiplier les missions de recherche, d’enseignement, d’administration et de représentation collective, tout en s’assurant un niveau de rémunération minimal, dans et hors de l’Université, oblige à vivre une situation intenable : un sur-travail, généralement invisible, souvent gratuit ou mal rémunéré. Pour nous maintenir à flot, et ne pas prendre de retard dans cette compétition constante, nous travaillons sans arrêt, pendant la journée, puis pendant nos soirées, la semaine, puis le week-end, et enfin durant les vacances scolaires. Concilier vie privée et vie professionnelle relève de l’impossible. Ce rythme de travail infernal entraîne des maux physiques et mentaux importants, trop souvent occultés. Le stress est permanent, les burn-out de plus en plus fréquents, les dépressions rarement diagnostiquées, mais bien présentes, et des cas de suicides commencent à être régulièrement évoqués. Il faut tenir coûte que coûte, ne pas mettre un pied à terre ou se déclarer en arrêt maladie, de peur d’être disqualifié·es auprès de nos collègues titulaires, et non moins actuels ou futurs employeur·es. Ne montrer aucun signe de faiblesse est devenue une « qualité ».

Cette situation économique catastrophique a des répercussions dans tous les secteurs de nos vies. Selon les disciplines, l’âge moyen d’obtention du doctorat varie entre 30 et 34 ans. Ces périodes de précarité arrivent donc à un âge de la vie supposé être celui de la stabilisation professionnelle, résidentielle et familiale. Mais comment se projeter dans son avenir, quand son quotidien est marqué par de telles difficultés matérielles et par une incertitude constante sur un éventuel recrutement qui peut avoir lieu n’importe où en France et/ou à l’étranger ? Être un·e docteur·e sans poste, c’est devoir renoncer à certaines activités sportives ou culturelles, devoir repousser des projets de couple ou de parentalité, et voir les sentiments de honte ou de compétition envahir ses relations familiales, sociales et amicales, etc.

Le poids de cette précarisation est d’autant plus pesant symboliquement que ces expériences se doivent d’être cachées à l’institution universitaire. Pour ne pas perdre la face devant des collègues qui n’attendent que des signes de notre excellence académique, nous devons taire ces difficultés financières et ces souffrances morales. L’Université et les décideurs politiques posent un voile pudique sur une réalité pourtant croissante. C’est au moins la première victoire obtenue par la mise en place de nos collectifs dans cette mobilisation : pouvoir dire, faire connaître et laisser la possibilité aux autres d’entendre ces réalités…

Si la LPPR était présentée par Antoine Petit comme « inégalitaire et darwinienne », là encore, nos expériences sont déjà inégalitaires ! Dans cet océan de précarité, certain·es sont en première ligne. Tout comme cela s’observe dans le secteur privé, les femmes subissent une non-reconnaissance de leurs compétences, affrontent des discriminations à l’embauche, quand il ne s’agit pas de cas de harcèlements moraux et sexuels[19]. Ainsi, les docteures sont plus souvent exposées à ces expériences de précarité, en obtenant les contrats les plus précaires et les moins rémunérés. Les docteur·es étranger·es travaillent et cotisent tous les jours, mais n’ont le droit ni d’accéder au titre de séjour scientifique, ni aux allocations chômage. Les docteur·es des universités de province, plus éloigné·es des réseaux et des ressources prestigieuses, sont plus souvent tenu·es à l’écart des recrutements[20]. Enfin, ces situations de précarité matérielle renforcent la dépendance à sa famille et/ou à son ou sa conjoint·e. Mais quand l’on sait que 41 % des doctorant·es ont des parents cadres, contre à peine 15 % d’enfants d’employé·es et d’ouvrier·es[21], l’on imagine les possibilités inégales de soutien liées à cette sélection sociale continue au fil des études. Face à un système universitaire qui ne prête qu’aux riches, les femmes, les étranger·es, les diplomé·es issu·es des classes populaires et les docteur·es des universités non-franciliennes sont déjà les grand·es perdant·es de cette précarisation croissante.

La précarité pour seul horizon des docteur·es ?

Cette austérité budgétaire d’un ministère qui gèle ou réduit le nombre de postes créés depuis plusieurs décennies augmente l’intensité de notre précarité, mais aussi sa durée. Le temps écoulé entre la soutenance et le recrutement s’accroît inexorablement. En 2004, à peine un tiers des maître·sses de conférences recruté·es avait obtenu leur doctorat plus de 2 ans avant. Aujourd’hui, cela concerne en moyenne près de 55 % des nouveaux recruté·es. Ainsi, l’âge moyen du recrutement comme MCF est actuellement de 34 ans, et même de 36 ans et 10 mois pour les postes de lettres et de sciences humaines[22].

Le 22 janvier dernier, la ministre Frédérique Vidal a promis de revaloriser à « deux SMIC » le salaire des jeunes chargé·es de recherche et maître·sses de conférences. En s’appuyant sur des chiffres discutables, elle ne fait ici qu’officialiser une réalité prégnante : les salaires des enseignant·es-chercheur·es sont plus bas que dans les autres pays de l’OCDE, mais surtout plus bas que chez les autres cadres de la fonction publique en France (jusqu’à 30 % de moins)[23]. Cette revalorisation va donc de soi, mais semble surtout cacher le fait que la future LPPR prévoit d’augmenter sensiblement le nombre d’heures de cours de ces personnels enseignants, en supprimant le plafond des 192 heures annuelles d’enseignement. Bien souvent, les MCF effectuent déjà plus d’heures, mais celles-ci ne sont donc plus payé·es en heures complémentaires.

Si le nombre de postes créés reste aussi bas que les années précédentes, ces (fausses) promesses de revalorisation ne concerneront donc que bien peu d’élu·es. En revanche, la ministre ne dit rien de cet enjeu du recrutement, et n’évoque jamais notre sort de docteur·es sans poste, ni celui de toutes et tous les précaires qui travaillent au quotidien à l’Université. Pire, selon les orientations contenues dans les rapports des groupes de travail préparatoires à la LPPR, le ministère prévoit d’institutionnaliser notre précarité. En créant des « contrats de projet », calqués sur les « CDI de mission » du secteur du BTP, la LPPR nous promet des contrats de 5 à 6 ans, le temps d’une recherche, sans prolongation ou titularisation à la clé[24]. Cette possibilité éloigne un peu plus la perspective d’un recrutement durable, tout en instaurant de nouveaux risques. Directement, subordonné·es à un·e supérieur·e hiérarchique, et non plus affilié·es à un laboratoire de recherche, nous serons plus fréquemment exposé·es aux pressions et aux harcèlements moraux et sexuels.

La situation catastrophique des docteur·es sans poste est passée sous silence, alors qu’elle se trouve au croisement des enjeux des trois grandes réformes actuelles. La réforme de l’assurance-chômage restreint le rechargement de nos droits aux allocations, alors que Pôle Emploi est l’une de nos principales ressources pour financer notre survie dans cette compétition. Du fait du recours massif des universités aux emplois précaires, nous ne cotisons qu’en pointillés et ne toucherons qu’une pension dérisoire après la mise en oeuvre d’une retraite par points ! Enfin, la casse de l’Université publique de qualité se fait toujours plus impitoyable depuis le début des années 2000[25]. La construction d’une Université privatisée, qui ne finance que « l’excellence » – non plus définie par la communauté scientifique mais par les décideurs politiques et les financeurs privés – et qui délaisse les savoirs jugés improductifs, va de fait précariser ses personnels, et fragiliser toutes et tous les étudiant·es !

Nous, docteur·es sans poste, nous demandons au Gouvernement, au-delà du retrait et de l’abandon de ces réformes en cours, des preuves de son intérêt réel pour l’enseignement et la recherche, par l’organisation à très court terme de :

  • la titularisation de celles et ceux qui font fonction d’enseignant·es-chercheur·es au quotidien, mais sans jouir de conditions de travail décentes, et qui travaillent même souvent dans une illégalité entretenue par l’institution.
  • la création massive de postes d’enseignant·es-chercheur·es pour pouvoir proposer une formation de qualité et encadrer décemment les étudiant·es toujours plus nombreux·ses à s’inscrire à l’Université.

De la révolte des précaires à la mobilisation universitaire ?

Cette mobilisation des précaires de l’ESR, qui a donné lieu le 11 février à une journée nationale d’actions contre la précarité à l’Université[26], ne doit pas être vue comme une complainte, à laquelle ne répond que la compassion de la communauté académique. En évoquant certains maux dont nous souffrons toutes et tous, la dévalorisation de nos compétences, l’invisibilité de notre travail ou encore la précarisation de nos conditions de vie, nous nous parons d’une identité stigmatisante. Mais nous le faisons car nous savons que les racines de cette précarité sont structurelles ; elles dépendent de choix politiques, et non de notre hypothétique illégitimité ! L’excellence que les ministres successifs appellent de leurs vœux, nous la mettons en œuvre à chaque instant. Et pourtant, ils nous privent des moyens d’une excellence pérenne et sereine. Tels des soutiers, nous faisons vivre l’Université tous les jours, dans l’urgence, en écopant, en colmatant les brèches. Si la façade de l’Université tient encore, elle cache en réalité un bien fragile château de cartes. Certes, les connaissances sont produites, les savoirs sont transmis, les diplômes sont obtenus. Mais au prix de quels sacrifices ? Et si nous cessions de faire vivre vos établissements au prix de notre exploitation, qu’en serait-il aujourd’hui, Madame la ministre, de l’excellence de l’enseignement et de l’attractivité de la recherche française que vous vantez tant ?

Depuis plusieurs semaines, nombre d’entre nous se mobilisent, font grève, subissent des pressions et s’exposent. Nous prenons le risque de perdre de l’argent, de prendre du retard dans cette course folle aux postes, d’affronter des discriminations futures au sein de nos établissements. Mais nous le faisons parce que nous pensons à l’avenir de nos étudiant·es et de l’Université, qui est gravement mis en danger par ces réformes. L’intérêt du service public nous guide. L’heure est grave, et si notre avenir est en suspens, cette mobilisation ne peut pas l’être !

Nous appelons donc l’ensemble des personnels administratifs, enseignants et/ou de recherche précaires à rejoindre nos collectifs, ou à en créer dans les établissements qui n’en comptent pas encore, et les précaires qui le peuvent à amplifier la mobilisation et à se mettre en grève. Nous exhortons les enseignant·es-chercheur·es titulaires à massifier cette mobilisation. Le 5 mars, l’Université se s’arrêtera qu’à la condition que tous ses personnels s’arrêtent. La solidarité avec les précaires ne suffit plus, nous devons construire ensemble un véritable rapport de force. Enfin, nous invitons les étudiant·es à rejoindre cette mobilisation. Aucun mouvement social n’a été victorieux ces dernières années sans votre soutien massif. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas notre mobilisation qui vous pénalisera mais bien l’ensemble de ces réformes qui vous concernent également !


[1] En 2015, le taux de chômage de l’ensemble des titulaires du doctorat est de 4 % chez les docteur·es en mathématiques, physique, chimie et sciences de l’ingénieur, de 9 % en sciences humaines et sociales, et même de 12 % en sciences et vie de la terre. Depuis les années 2000, ce taux a tendance à diminuer dans les sciences sociales, et à augmenter dans les sciences « dures ». Enquête Génération du Céreq (2016).

[2] Enquêtes Emploi, Insee, 2010-2015.

[3] Note d’information n°17.03, « La situation des docteurs sur le marché du travail », Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), 2017.

[4] Citons les travaux du Collectif « Approches Critiques et Interdisciplinaires des Dynamiques de l’Enseignement Supérieur » (Acides), de la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC), et des collectifs « Génération précaire », « Pour l’Abolition de la Précarité dans l’Enseignement Supérieur, la Recherche et Ailleurs » (Papera) et « Pour l’Étude des Conditions de travail dans la Recherche et l’Enseignement Supérieur (Pécres). Ce dernier collectif a notamment publié le livre Recherche précarisée, recherche atomisée. Production et transmission des savoirs à l’heure de la précarisation (Raisons d’agir, 2011).

[5] Si le projet n’a pas été présenté à la communauté universitaire, une version datée du 9 janvier a déjà fuité. Pascal Maillard, « Dévoilement et analyse de la Loi de programmation de la Recherche», Blog Polared (Petit Observatoire des Libertés académiques), 10/02/2020.

[6] Faïza Zeroulia, « Petits cœurs, flash mob, candidatures multiples, grève des revues… la recherche trouve de nouveaux modes d’action », Mediapart, 23/01/2020.

[7] Données de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du MESRI, 2015.

[8] Cette baisse s’accompagne de plus en plus de gels de postes, suite à des départs à la retraite notamment. Pierre Dubois, « Emplois : gel à pierre fendre », Histoire d’universités, 11 avril 2015.

[9] Guillaume Miquelard, « Évolution des effectifs à l’Université : personnels et étudiants », Un petit monde, un blog EducPros, 10 novembre 2015. 

[10] On compte 1 614 900 étudiant·es à l’Université en 2018. Données du MESRI.

[11] Note n°7, « La campagne de recrutement et d’affectation des maîtres de conférences et des professeurs des universités ‐ Session 2018 », Direction Générale des Ressources Humaines du MESRI (juillet 2019).

[12] Chloé Leprince, « Soupçons de discrimination au CNRS : l’ampleur réelle des déclassements », France Culture (11 juillet 2019).

[13] En 2006, le nombre de postes par an avait déjà chuté à 380. Martin Clavey, « Baisse du recrutement des chargés de recherche au CNRS 2020 », The Sound of Science (2 décembre 2019).

[14] Ces standards reposent davantage sur des indicateurs de gestion quantitatifs (quantophrénie), au détriment de dimensions plus qualitatives, plus humaines, plus en adéquation avec la prise en considération des intérêts des étudiant·es.

[15] En 2017, chez les docteur·es diplômé·es en 2014, 49 % travaillaient dans l’ESR, 18 % dans la fonction publique non universitaire et 33 % dans le secteur privé. Données de l’enquête IP-Docteurs menée par le Système d’Information et des Études Statistiques du MESRI (2017).

[16] Données de l’ Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, Rapport – n° 2014-062 (juillet 2014).

[17] Note n°4, « Les enseignants non permanents affectés dans l’enseignement supérieur. Bilan de l’année 2016-2017 DGRH du MESRI (mai 2018).

[18] ANCMSP, « Vacations, contrats LRU et postes de titulaires manquants, quelques estimations » (23 février 2019).

[19] Lenaïg Bredoux, « A l’université, la parole se libère enfin » et « Les raisons de l’impunité à l’université », Mediapart (20 mai 2019).

[20] Au CNRS, en 2018, dans les sessions de recrutement en sociologie et science politique, l’ANCMSP note que « le trait le plus marquant est donc la très forte domination parisienne, avec environ trois quarts des auditionné·e·s dans chacune des sections ». Parmi les 10 admis·es, seul·es 3 viennent d’établissements de province ou de l’étranger. ANCMSP, « Bilan ANCMSP des recrutements CR CNRS 2018, sections 36 et 40 » (12 février 2020).

[21] Observatoire des inégalités, « Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur » (19 juin 2019). D’après les données du SIES du MESRI.

[22] Note n°7, « Trajectoire professionnelle des enseignants‐chercheurs recrutés en 2016 », DGRH du MESRI (juin 2017).

[23] P. Berta, P. Mauguin et M. Tunon de Lara, Rapport du groupe de travail n°2 sur la LPPR, « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques », 64 pages (23 septembre 2019).

[24] Voir le rapport du groupe de travail n°2 sur la LPPR.

NB : entre la rédaction de ce texte et sa parution, le Gouvernement a fait passer cette mesure par décret.

Décret n° 2020-172 du 27 février 2020 relatif au contrat de projet dans la fonction publique : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041654207&categorieLien=id

[25] Christophe Granger, La destruction de l’université française, La fabrique (2015).

[26] Voir le « petit d’horizon de la journée » dressé par le site Université ouverte : https://universiteouverte.org/2020/02/12/petit-tour-dhorizon-de-la-journee-stopprecarite/

On est déjà presque NU !

En janvier 2020, Normandie Université (ComUE) sortait une nouvelle campagne de communication sous le mot d’ordre « fiers d’être NU ». Les affiches ont été introduites ainsi: « Fiers d’être NU. Normandie Université. Aujourd’hui, nous sommes fiers de nous afficher ensemble. Nus ? Non, ça c’est une autre histoire, celle du film réalisé par Philippe Le Guay : Normandie Nue« .

Des membres du personnel et des étudiant.e.s de l’Université ont répondu à la campagne par une pétition demandant sa suppression : « [celle-ci] est doublement indécente dans un contexte de mise à mal de l’enseignement supérieur et de la recherche : d’une part, nous avons cruellement besoin de moyens pour fonctionner, éventuellement pour diffuser, mais de manière concertée, une image valorisante de nos missions et projets (combien a coûté cette campagne ?) ; d’autre part, l’Université est en effet en train de se faire plumer, et il n’y a vraiment aucune raison d’en être fiers. »

Nous dirions même plus : arrêtez de nous peler et créez des postes stables dans nos Universités Normandes !

Flashmob – « Les démons de l’Elysée »

Les paroles

« Pour la retraite
Ne reste par inerte
Tout le monde bouge
Engagé contre la précarité
Il faut lutter
J’ai besoin de trouver quelqu’un
Pour mon TD
Je cherche de nouveaux vacataires
Payés au lance pierre

(Refrain) Ils nous traînent dans les rues pavées
Les démons de l’Elysée
Ils nous poussent à manifester
Casseurs d’université

Aujourd’hui, on n’a plus d’amphi
Ni de chauffage
Juste des profs, qu’éclairent nos esprits
Même sans wifi
Déprimé.e.s
Et précarisé.e.s
Sombre est l’avenir
J’veux un diplôme de valeur
Pour tout ce labeur

(Refrain) Ils nous traînent dans les rues pavées
Les démons de l’Elysée
Ils nous poussent à manifester
Casseurs d’université

(Refrain) Ils nous traînent dans les rues pavées
Les démons de l’Elysée
Ils nous poussent à manifester
Casseurs d’université

Techniciens, administratifs et ingénieurs
Contractuels au mieux 3 années,
Voire, 5 trois quarts
J’dis adieu à ce CDI
Qu’on m’a promis
Retour à la case départ
Macron tu vas voir

(Refrain) Ils nous traînent dans les rues pavées
Les démons de l’Elysée
Ils nous poussent à manifester
Casseurs d’université »

Articles de presse parus à l’occasion de la journée contre la précarité dans l’ESR (11 février)

Réunie le 1er février, l’AG nationale des précaires de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a appelé à une journée d’action contre la précarité dans l’ESR le mardi 11 février. A cette occasion, nous avons sorti une campagne d’affiches qui visait à rendre visible la précarité de nos conditions de travail. Nous avons en parallèle dispensé des cours alternatifs pour informer les étudiant.e.s de la situation de l’ESR en France. Avec un groupe d’étudiant.e.s mobilisé.e.s, nous avons également réalisé un Flashmob et participé à la soirée festive « Fête la grève » contre la précarité, ce qui a aussi permis d’aborder les questions liés à la précarité étudiante.

Voici les différents articles de presse qui ont été publiés sur cette journée :

Libération : « Doctorants et docteurs précaires : «On n’est jamais assez bien, alors qu’on se tue au travail » par Cassandre Leray. La version intégrale pour les non-abonné.es est ici.

Actu 76 : « Blocages, fête… Mobilisation à la fac de Rouen contre la précarité, avant un durcissement ? » par Mathieu Normand.

Paris-Normandie : « Les vacataires de la fac de Rouen réalisent un flashmob pour médiatiser leurs conditions de travail » par Christophe Hubard

La voix du Robec : « Vos enseignants, ces précaires » par Emma Gahenau

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